Longtemps, Elhadj Touré est resté sans voix. Persuadé que sa parole n’avait aucune valeur. Il a 15 ans lorsqu’un incendie ravage l’appartement HLM de banlieue parisienne où il vit avec sa mère, venue de Guinée, et ses quatre frères et sœurs. Ils n’ont pas de papiers, ils ne seront pas relogés, annonce le représentant du bailleur social.
« Ça te fait tellement flipper, tu es tellement en colère, qu’il n’y a rien qui sort, se souvient Elhadj. Mais si j’avais eu les bons mots au bon moment, j’aurais été capable de lui faire comprendre certaines choses. Il a limite brisé des vies sans s’en rendre compte. La parole, c’est ce qui m’a manqué quand j’étais gosse. »
La famille se réfugie dans des chambres d’hôtel, que sa mère s’endette pour payer. Convaincu qu’il n’est pour elle qu’un fardeau, le jeune homme prend son sac et s’enfonce dans un monde de silence. « Quand on vit dans la rue, on ne peut plus s’exprimer. Le plus dur ce n’est ni la faim ni le froid, c’est l’absence de dialogue… Ces milliers de personnes qui ne vous adressent pas un mot », se remémore-t-il.
Retour à l’école
Véritable rescapé, il parvient à retrouver sa mère deux ans plus tard, grâce à une association, et reprend le chemin de l’école, puis de l’université Paris-8, en Seine-Saint-Denis. Il décroche un diplôme en musicologie avant de s’orienter vers la sociologie, entamant des recherches sur le génocide rwandais, l’ethnicisme et le contrôle au faciès.
Mais il reste persuadé qu’il n’aura jamais voix au chapitre. Alors à quoi bon tenter sa chance à Eloquentia Saint-Denis, comme le suggère Ibrahim Bechrouri, le président de son club de football américain ? Ce concours d’éloquence n’est pas pour lui. Mais son coéquipier sait convaincre : il était finaliste lors de l’édition précédente.
Le sportif lui en finit par relever le défi. Et il se lance dans une préparation intensive de six semaines. Très vite, Elhadj doit se jeter à l’eau face à une classe de vingt-huit camarades et à la caméra de Stéphane de Freitas.
Le réalisateur et créateur du concours veut retracer leur parcours jusqu’au grand oral pour le documentaire À voix haute, la force de la parole, actuellement en salles. Grâce aux méthodes musclées de l’avocat Me Bertrand Périer, à la poésie du slameur Loubaki ou à une rencontre avec l’ex-ministre français de la Justice Robert Badinter, ce grand gaillard de 24 ans apprend à articuler ses idées, à poser sa voix, à occuper la scène.
Source : Jeune Afrique
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