« Beaucoup de personnes demandent que Karim Wade soit
libéré. C’est possible. Il ne faut pas désespérer que cela puisse avoir
lieu », affirme Macky Sall, ce
matin sur RFI. Et le chef de l’Etat sénégalais va plus loin. Il annonce
que cette libération aura lieu « certainement », d’ici la fin de l’année. Ce jeudi 2
juin, le président sénégalais est à Paris, où il rencontre le patronat
français. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Ce lundi 30 mai, après le verdict des Chambres africaines
extraordinaires (CAE), Hissène Habré s’est écrié « A bas la Françafrique ! ».
Les victimes au contraire ont applaudi avec beaucoup de soulagement. Quelle est
votre réaction ?
Macky Sall : D’abord, c’est une
réaction d’humilité puisque je pense que c’était un défi important pour le
Sénégal et pour l’Afrique. Depuis plus de 20 ans, le procès Habré était sur
toutes les lèvres, mais on n’arrivait pas à l’organiser dans les conditions
équitables d’un procès. La Belgique avait demandé à le juger. Moi, j’avais
considéré que l’Afrique ne devait pas exporter ses dirigeants, même s’ils sont
accusés des crimes les plus odieux, que le continent devrait pouvoir organiser
lui-même le procès. C’était ça le challenge. Nous avons pu, avec l’Union
africaine, signer une convention, un accord qui a permis la création des
Chambres africaines extraordinaires au sein de la cour d’Appel de Dakar. Ce qui
a été important, c’est que finalement ce procès s’est tenu dans des conditions
optimales de respect des droits du prévenu. Et je crois, nulle part l’Etat n’a
interféré dans le déroulement de ce procès. Maintenant le verdict, je pense que
ça a été un verdict très lourd, mais ça a été un verdict. Je crois qu’il peut
faire appel. La «perpète», c’est une condamnation quand même très lourde.
Trop sévère pour vous ?
Je
ne veux pas apprécier vraiment ce que le tribunal a fait. Je considère qu’il a
été poursuivi pour des faits graves. Il les a faits, il ne les a pas faits ? La
cour l’a reconnu coupable et a donné une sentence. J’éviterai de commenter la
sentence du tribunal.
Si Abdoulaye Wade avait été réélu en 2012, est-ce que ce procès aurait eu lieu
?
Il faut aller lui demander. Ce n’est pas à moi de répondre à sa place (rires).
Il faut aller lui demander. Ce n’est pas à moi de répondre à sa place (rires).
Après
la condamnation de Hissène Habré, beaucoup d’Africains disent «il ne faut pas que ces Chambres
africaines extraordinaires disparaissent, il faut qu’elles soient pérennisées
pour que l’Afrique continue de juger l’Afrique» ?
Oui,
il faut qu’elles soient pérennisées. Maintenant, est-ce qu’il faut qu’elles
soient pérennisées au Sénégal ? Ça, c’est un autre débat. Je pense que le
Sénégal ne peut pas aussi être le tribunal de l’Afrique. Evidemment nous avons
une justice crédible. Nous avons aussi une volonté politique affirmée, mais je
pense qu’il faut que l’Afrique travaille à pouvoir organiser elle-même ses
procès, un peu partout sur le continent. C’est ça l’idéal.
Samedi dernier [28 mai], vous avez initié à Dakar un dialogue
national qui vise notamment à renforcer les pouvoirs du Parlement et à accorder
un statut au chef de l’opposition. Mais beaucoup de Sénégalais, dans
l’opposition justement et dans la société civile, ont été déçus en mars dernier
par le fait que vous n’ayez pas tenu votre promesse de 2012, c’est-à-dire
l’engagement de vous appliquer à vous-même la réduction de la durée du mandat
présidentiel de 7 ans à 5 ans.
Nous
sommes un Etat de droit. Lorsque moi, j’ai une volonté en tant que président de
la République qui était de réduire le mandat en cours et que le Conseil
constitutionnel sort un arrêt très précis pour rappeler les principes du droit,
le principe universel de la non-rétroactivité de la loi, - à savoir que ce
mandat à qui avant cette réforme ne peut être remis en cause par la nouvelle
loi -, comment voulez-vous que moi, président de la République, chargé et
garant du bon fonctionnement des institutions de la République, je puisse
passer outre la décision du Conseil ? Ça n’a pas de sens. En plus ce débat, il
est dépassé puisque le peuple souverain a définitivement tranché. Il a voté
massivement ce référendum.
Oui, mais l’abstention a été forte, de plus de 60% ?
L’abstention
a toujours été forte au Sénégal. Il y a beaucoup d’amalgames là aussi. Depuis
au moins 2007, tous les acteurs se sont accordés sur le fait qu’il y un « stock
mort » dans notre fichier électoral. Ce qu’on avait appelé le « stock mort »
avec l’Union européenne, c’était une masse d’électeurs qui sont dans le fichier
mais qui ne votent jamais. Plus d’1 million 500 mille n’ont participé ni à
l’élection présidentielle de 2012, ni aux législatives de 2012, encore moins
aux locales de 2014, et donc pas au référendum. C’est la raison pour laquelle
je dis, avec la classe politique, - c’est l’une des raisons de la convocation
de ce dialogue national -, qu’il nous faut ensemble convenir d’un audit du
fichier électoral. Maintenant, pourquoi j’ai convoqué le dialogue national ?
C’est une bonne question, puisque le Sénégal n’a pas de crise politique, mais
j’ai considéré que, justement au moment où je n’ai aucun problème de
légitimité, c’est le moment où il faut tendre la main à l’opposition. Et
au-delà de l’opposition, il s’agit d’un dialogue national avec
l’institutionnalisation, chaque année le 28 mai, de cette rencontre où tous les
acteurs vont se parler avec l’autorité suprême de l’Etat qui est le président
de la République. Et sur les questions majeures comme le statut du chef de
l’opposition, ainsi que les conditions de participation, le fichier électoral,
l’organisation, tout ça, nous allons avoir un consensus national, ce qui va
encore confirmer l’exception sénégalaise.
Justement à la surprise de beaucoup, le PDS [Parti démocratique
sénégalais] d’ Abdoulaye Wade a accepté de venir à ce dialogue national. Il y a
encore quelques mois, l’ancien président Wade tenait des propos quasiment
insultants à votre égard.
Oui.
Qu’est-ce qui a changé ?
Rien
n’a changé, sinon moi-même en tant que président de la République. Je considère
aujourd’hui que je n’ai pas le droit, moi, de suivre des opposants qui
m’insultent. Et c’est la raison pour laquelle moi, j’ai fait un dépassement au
niveau individuel. Et je peux vous surprendre, j’ai appelé le président
Abdoulaye Wade le jour de son anniversaire.
Il y a quelques jours ?
Il y a quelques jours ?
Oui,
pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Le 29, - c’est le lendemain du
dialogue- . Il fêtait ses 90 ans. Je crois que moi, je dois l’appeler. A mon
âge, vu le parcours que nous avons fait ensemble, malgré tout ce que vous avez
dit…
Vous avez été longtemps ensemble...
Oui, malgré tout. C’est la capacité de dépassement. Et j’ai salué aussi sa lucidité et la responsabilité dont il a fait montre en disant au PDS « Allez au dialogue. Défendez nos positions ». Parce que le PDS, c’est quand même la principale force d’opposition.
Oui, malgré tout. C’est la capacité de dépassement. Et j’ai salué aussi sa lucidité et la responsabilité dont il a fait montre en disant au PDS « Allez au dialogue. Défendez nos positions ». Parce que le PDS, c’est quand même la principale force d’opposition.
C’était la première fois [que vous vous parliez] ?
Oui,
c’était la première fois depuis notre passation de service. Et je suis étonné
de voir des gens s’émouvoir que deux anciens chefs d’Etat, qui étaient en
combat, renouent avec le dialogue. Les gens, qu’est-ce qu’ils veulent ? Ils
veulent la paix ou ils veulent quoi ? Donc tout le monde devrait se réjouir de
cet apaisement qui nous permettra de nous concentrer autour de l’essentiel.
«Pour que le dialogue national ait un sens, nous allons demander
qu’on libère les prisonniers politiques », dit le secrétaire général du PDS, Oumar
Sarr. Est-ce qu’après la libération de trois co-accusés de Karim Wade [NDLR :
Bibo Bourgi, Samba Diassé et Papa Mamadou Pouye], la libération de Karim Wade lui-même
est envisageable ?
D’abord
il ne faut pas parler de détenus politiques, de prisonniers politiques. Ça
n’existe pas au Sénégal. Je pense que aussi, il y a eu mardi une ordonnance du
juge de l’application des peines qui a, pour des raisons humanitaires, autorisé
la sortie du territoire pour deux des détenus. Et il y a eu quelqu’un qui a
bénéficié d’une remise en liberté parce que cette personne a purgé la moitié de
sa peine, et donc était en droit d’attendre ce qu’on appelle donc une remise de
peine. Et puis il y a le cas de monsieur Karim Wade. Effectivement, beaucoup de
personnes demandent qu’il soit élargi. Tout ça, c’est possible mais il faut le
mettre dans le contexte réel et je pense que, oui il ne faut pas désespérer que
cela puisse avoir lieu.
Parce que de fait, Karim Wade, depuis quelques jours, a déjà
purgé la moitié de sa peine…
Oui.
Mais on n’est pas en train de parler de moitié de peine ou autre. A partir du
moment où le débat est posé sereinement, normalement il n’y a pas de raison
qu’il n’y ait pas de solution. Mais en sachant que tout cela se fait dans le
cadre de la loi ou des prérogatives constitutionnelles du président de la
République. Ça c’est la Constitution qui me donne le pouvoir de grâce.
Vous espérez une solution d’ici la fin de l’année ?
Certainement.
Certainement.
Ce week-end à Dakar, les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest vont
adopter peut-être de nouvelles mesures contre le terrorisme. Est-ce que malgré
les relations difficiles actuellement entre le Sénégal et la Gambie, vous
attendez la venue du président Yahya Jammeh à ce sommet. Et est-ce que vous
souhaitez un tête à tête avec lui ?
Bien,
je ne sais pas s’il sera là. Il devrait être là puisqu’il s’agit d’un sommet de
la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest], même s’il a
des contradictions avec le président du Sénégal, je pense. C’est sa
responsabilité en tant que «président de la République islamique de Gambie»,
pour respecter sa volonté, d’être présent au Sénégal. S’il ne vient pas, c’est
sa liberté aussi. Mais je pense que certainement, s’il vient, nous aurons à
nous expliquer comme nous l’avons fait du reste à Istanbul la dernière fois
lors du sommet de l’OCI [Organisation de la coopération islamique, le 14 avril
2016]. Vous savez des voisins, parfois, ils peuvent se heurter et ça se
comprend. L’essentiel, c’est que chacun comprenne les limites à ne pas
dépasser.
Source : RFI
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