Avant d’arriver à Dubréka, il faut passer les
briqueteries et les forges à ciel ouvert où l’on construit de grands portails
de fer que l’on appuie contre des palmiers et des manguiers au bord de la
route. Satina, Le Refuge, La Ravine. Les panneaux des discothèques côtoient
ceux des guérisseurs traditionnels. Ce matin d’avril, le printemps est couvert
de bougainvilliers fuchsia et la vie semble avoir repris son cours.
Au carrefour central de Dubréka, les motos-taxis
vrombissent autour de la statue d’une colombe aux ailes d’aigle qui devise :
liberté, démocratie et tolérance. C’est à deux pas de cette colombe que Cheikh
Ahmed Camara vivait avant la maladie. Sa maison jouxtait une mosquée. A l’heure
de la prière, quand les fidèles se pressaient, Cheikh Ahmed avait pris
l’habitude de remplir d’eau plusieurs bouilloires en plastique qu’il déposait
devant sa porte pour leur permettre de faire leurs ablutions. Un geste gratuit
de gentillesse envers ses coreligionnaires qui symbolisait son appartenance à
la communauté. Ainsi le jour où ses voisins, ses amis, refusèrent son eau, il
comprit immédiatement. Il n’était plus le bienvenu. Il devait partir.
De la souffrance et de l’attente
Aujourd’hui, Cheikh Ahmed vit dans le quartier de
Firema, en périphérie de Dubréka. Un « bas-fond » comme on l’appelle ici, au
sens littéral, car construit autour de la partie basse d’une rivière dans
laquelle on cultive le maïs et le manioc. L’atmosphère est humide, mais moins
polluée que le centre-ville. Cela fait dix mois qu’il a déménagé dans un petit
bloc de béton grisâtre. Deux pièces, dans lesquelles il vit avec sa grande sœur
qui l’aide à s’occuper de ses neuf enfants. Ils n’ont plus de mère. L’épouse de
Cheikh Ahmed est décédée en décembre 2014, emportée par Ebola.
Cheikh Ahmed se remémore chaque détail. Ce jour
d’hiver où Damba, une amie proche de sa femme, était passée à la maison prendre
le thé. Elle avait un peu de fièvre. Quelques jours plus tard son décès avait
été annoncé par les autorités guinéennes comme l’un des premiers cas confirmés
d’Ebola dans la région. Puis sa femme avait présenté les symptômes : toux, maux
de têtes, vomissements, diarrhées. Il l’avait emmenée dans un centre de
traitement d’Ebola (CTE), comme on le lui avait conseillé, mais deux jours plus
tard elle y mourrait. A Cheikh Ahmed de ressentir le chagrin se superposer à la
douleur musculaire et à la fièvre qui le gagnaient à son tour. Antipaludéens et
sels de réhydratation orale. « C’est tout ce que l’on peut vous donner quand
vous êtes atteint d’Ebola, explique-t-il. Le reste c’est de la souffrance et de
l’attente. »
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