Une fois encore, la Guinée est en
proie à une vague de violences postélectorales, aux lendemains du scrutin du 4
février dernier. Comment faut-il comprendre ces poussées récurrentes ?
Quater
repetita. 2010, 2013, 2015, 2018 : une fois encore, une fois de plus, les
violences, pourtant très localisées, qui ponctuent chaque rendez-vous des
Guinéens avec les urnes ont joué le rôle du fromager cachant la forêt d’une
démocratie élective certes balbutiante – même pas huit ans d’âge ! – et
imparfaite à l’aune des parangons occidentaux, mais suffisamment prometteuse
pour qu’on se garde de jugements hâtifs.
Une
fois encore, une fois de plus, en cette semaine du 5 février, lendemain des
premières élections locales réellement démocratiques depuis l’indépendance, les
jeunes chômeurs, souvent issus des « gangs de l’Axe », actifs de part et
d’autre de la route Le Prince, qui traverse la commune de Ratoma, banlieue nord
de Conakry et fief du leader de l’opposition Cellou Dalein Diallo, ont affronté
les forces de l’ordre.
Quand
le chef de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et ancien Premier
ministre du général despote Lansana Conté lance, comme il vient une nouvelle
fois de le faire, « il faut que la jeunesse de Guinée se lève pour exiger la
vérité des urnes », les insurgés permanents du « ghetto » peul n’ont pas besoin
de traducteur : ils montent au front avec leurs pierres et leurs frondes,
telles des munitions manipulées à distance par des pilotes de drones.
La « république de Ratoma »
La « république de Ratoma »
Dans
cette « république de Ratoma » où flotte le drapeau de l’UFDG, toutes les
occasions sont bonnes pour jouer l’épreuve de force avec le pouvoir du
président Alpha Condé : délestages d’électricité, coupures d’eau, prix du riz,
élections. Ici, aucun véhicule officiel ne se hasarde, et il n’est pas rare
qu’un minibus transportant des employés chinois soit caillassé, comme en ce 6
février au matin : les Chinois, c’est bien connu, soutiennent Alpha Condé.
Quand
les élections apparaissent comme une source de déstabilisation, la parole est à
la rue
Une
fois encore, une fois de plus, les ambassades étrangères envoient à leurs
ressortissants des messages leur enjoignant d’éviter les zones de non-droit :
Hamdallaye, Bambeto, Coza, une partie de Dixinn. Même si les troubles sont en
réalité limités, l’effet de cette stratégie de la tension délibérément choisie
par le principal parti d’opposition et son chef dans la perspective de la
présidentielle de 2020 est assuré : quand les élections apparaissent comme une
source de déstabilisation, la parole est à la rue. Et les investisseurs ne
prennent pas l’avion pour venir vous voir.
Pourtant,
et pour peu qu’on ne tombe pas dans le piège des provocations médiatiques,
au-delà du niveau de violence et de la dose de fraudes (d’ailleurs largement
répartie entre les deux camps) consubstantiels à tout apprentissage
démocratique – il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux scrutins
chaotiques qui ont émaillé les IIIe et IVe Républiques françaises –, les
élections locales du 4 février en Guinée se sont déroulées « normalement »
malgré certaines imperfections.
Le
représentant du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn
Chambas, en a convenu, et l’auteur de ces lignes, présent ce dimanche-là à
Conakry, peut en témoigner. Toute passion retombée, il est d’ailleurs possible
d’en tirer quelques leçons pour l’avenir : percée de candidats indépendants
comme Aminata Touré, fille de l’ex-président Ahmed Sékou Touré, à Kaloum ; rôle
d’arbitre dans plusieurs communes clés de l’ancien Premier ministre Sidya
Touré, dont la double casquette d’opposant modéré et de haut représentant du
chef de l’État confine à la schizophrénie politique ; taux d’abstention élevé,
sauf dans les régions où le réflexe ethnique l’emporte sur la logique
partisane, etc.
Source : Jeune Afrique
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