Sur le
plan légal, il n’y a rien à redire de la grâce présidentielle accordée au plus
célèbre des détenus du Sénégal, Karim Wade, 47 ans. Mais les circonstances
entourant sa libération en catimini provoquent un certain malaise à Dakar. Un
épilogue controversé au diapason de ce dossier retentissant – la condamnation
du fils d’un ancien chef de l’Etat pour enrichissement illicite – dans lequel
le président sénégalais Macky Sall s’est empêtré.
Dans la nuit du jeudi 23
au vendredi 24 juin, le fils d’Abdoulaye Wade, président du Sénégal de 2000 à
2012, est donc sorti libre de la prison de Rebeuss à Dakar. Il avait accompli,
compte tenu de sa détention préventive, la moitié de sa peine de six ans d’emprisonnement
prononcée en 2015. « A peine sorti, il s’est envolé à bord d’un jet privé
envoyé par l’émir du Qatar, destination finale du voyage en compagnie du
procureur général [de ce petit émirat]. Il est là-bas pour on ne sait combien
de temps », nous raconte un de ses proches.
Ce
pardon dont bénéficient aussi Ibrahima Aboukhalil, dit Bibo Bourgi, et Alioune
Samba Diassé n’est pas une amnistie. La condamnation figure toujours dans leur
casier judiciaire et « les sanctions financières [plus de 210 millions d’euros
d’amende] demeurent », a ajouté la présidence. Autrement dit, l’horizon
politique de Karim Wade est loin d’être dégagé.
« Monsieur 15 % »
« Monsieur 15 % »
D’ailleurs,
rien ne permet de mesurer sa popularité. Il faut dire que Karim Wade part de
loin. Mis sur orbite par son père, il a ensuite traîné comme un boulet ce
parrainage politique. Et, pourtant, c’est coiffé d’une auréole de martyr auprès
d’une partie de la population qu’il sort de prison. Une performance rare pour
quelqu’un que l’on surnommait – au temps de sa splendeur et au faîte de son
impopularité – « Monsieur 15 % » pour les commissions qu’on le soupçonnait de
percevoir sur des contrats publics ou encore « ministre du ciel et de la terre
» pour son omnipotence et son arrogance.
Sa
chute date de la défaite électorale de son père, en 2012, battu par l’un de ses
anciens proches, Macky Sall, dont l’un des axes de campagne fut la lutte contre
les « biens mal acquis » par le clan présidentiel. « Monsieur 15 % » fut le
premier très haut responsable accroché au tableau de chasse des enquêteurs
anticorruption. Le premier et le dernier, d’ailleurs, ce qui renforça
l’impression que cette opération de moralisation de la vie politique
sénégalaise tenait aussi du règlement de comptes.
Une
autre critique concerne le volet judiciaire, dès lors que le pouvoir choisit de
ranimer un tribunal d’exception, la Cour de répression de l’enrichissement
illicite, pour le juger. Une option contestée par les organisations des droits
de l’homme, qui s’inquiétaient du non-respect des droits des accusés et d’une instruction
bâclée.
« Ses amis du Golfe lui renvoient l’ascenseur »
« Ses amis du Golfe lui renvoient l’ascenseur »
Mais
c’est sur le terrain diplomatique et politique que la libération de Karim Wade
s’est jouée. Ces derniers mois, plusieurs chefs d’Etat africains ont plaidé sa
cause, dont l’Ivoirien Alassane Ouattara. Et le Qatar discutait de son sort
avec la présidence depuis le mois d’avril, au moins. « Il a beaucoup d’amis
dans le Golfe. Il a permis à Dubaï de décrocher beaucoup de contrats, notamment
le port de Dakar. Ils lui renvoient l’ascenseur », avance un diplomate
ouest-africain. « Quel est l’accord avec le Qatar ? », demande Alioune Tine,
responsable d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest.
Source : Le Monde
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